Le point golri pouvait-il ne pas se pencher sur le sujet ou, a minima, tenter une réflexion sur ce controversé trait d’esprit du camarade Meurice ?
Notre premier réflexe a été de se demander : « mais qu’irions-nous faire dans cette galère ? »
C’est vrai. Pourquoi courir au-devant des enquiquinements et risquer de froisser (au mieux) une partie de notre lectorat ?
Mais après tout, n’est-on pas là au cœur de nos réflexions sur l’humour ? Pourquoi ce merveilleux lubrifiant social (restons dans la thématique préputiale) fait-il du mal à certains et du bien à d’autres ? D’où vient cette différence ténue (à la base) de perception, propre à chacun qui en quelques battements d’ailes de papillon peut déclencher des tsunamis de haine ou d’appel au boycott et au soutien ?
Le propos de cette newsletter, c’est l’humour au quotidien.
Nous n’aborderons donc pas ici les thématiques de la liberté d’expression (réglons la question tout de suite, pour nous, c’est OUI à la liberté d’expression ne serait-ce que par amour pour Georges Wolinski, Cabu, Charb, Honoré, Tignous morts pour des blagues), ni ne trancherons sur est-ce que Guillaume Meurice a raison / tort / s’abstient / sans opinion / … ?
Vous allez comprendre pourquoi en lisant cette newsletter.
L’idée, c’est plutôt d’observer ce phénomène médiatique à base de blague et de procéder à une sorte d’analyse clinique.
Oups !
Tentative d’exégèse d’une blague
Pour ce faire, nous allons nous appuyer sur un théoricien de la blague, l’Américain Jared Volle. Eh oui, la plupart des disséqueurs de blagues sont américains. Car contrairement à nous, au pays de l’oncle Sam on considère que « humour is a serious business ». Et chez les amerloques, quand il est question de faire de l’oseille, on industrialise (même l’humour, donc). Or, qui dit industrialisation, dit méthodes industrielles pour produire en masse. Comme pour usiner des moteurs.
Les Américains ont donc analysé comment fonctionne l’humour. Puis, tout comme pour fabriquer à la chaîne une voiture ou un jean, ils ont mis au point une méthode de production. La matière première « humour » est découpée en une série de processus puis de tâches qui permettent de produire de la blague en veux-tu en voilà (y’en a un peu plus, je vous le laisse ?).
C’est sûrement critiquable, ça comporte des limites, mais ça a le mérite de proposer des bases de réflexion communes et des process de fabrication transmissibles. Ce qui permet de former des professionnels de la blague. Système au final beaucoup plus égalitaire que de compter faire partie des chanceux.ses. choisi.e.s par la main divine des Dieux de la vanne pour être touché.e.s par la grâce de l’inspiration blaguistique (ou pas)…
Et quand on a besoin de produire du contenu humoristique quotidien, la méthode « américaine » est moins risquée. Moins poétique, on en convient, mais rappelons que « poetry doesn’t make money ».
Bref. Un des théoriciens de la blague, Jared Volle, explique que l’humour naît de ce qu’il appelle « la transgression bénigne », entendre par là un équilibre entre notre zone de sécurité (ce que l’on juge acceptable / normal) et ce que l’on assimile à de la transgression (ce que l’on juge étrange, anormal, qui sort de nos codes moraux ou logiques). Rien que cette notion, qui constitue le tout premier chapitre de son bouquin, met le doigt sur la complexité de la démarche humoristique qui repose sur des notions éminemment humaines donc personnelles à chacun.
La zone de confort
C’est ce qui est connu et reconnu de nous et que nous jugeons « OK » (logique, pas choquant, etc.).
Dans le cas présent, le fait d’être sur France Inter constitue pour les auditeurs une zone de sécurité. Radio du service public, le dimanche soir, émission humoristique. Le cadre est posé. On sait où on est et ce qu’on vient y faire. Guillaume Meurice est un des piliers de l’émission, on connaît son ton et ses positions. Il a une notoriété qui indique que des milliers de personnes adhèrent à son humour (le risque de se retrouver isolé dans sa position de rieur est donc limité). Bref, on se sent en sécurité.
Et c’est finalement peut-être un peu là l’objet du différend entre l’humoriste et la station de radio. La caution Meurice est-elle suffisante en soi pour créer une zone de sécurité ou y’a-t-il annexion de la zone de sécurité de France Inter ?
Bienvenue dans notre zone de confort !
Sécurité vs transgression
Toujours selon Jared Volle, pour augmenter les chances de faire rire à une blague très transgressive, il est chaudement recommandé de préparer le terrain.
Comment s’y prendre ? En créant de la tension comique (sourire, ambiance légère, saupoudrage de second degré, œil qui frise) avant de passer en mode conflit comique (vanne avec chute 🔥🔥🔥). En d’autres termes, le principe c’est d’augmenter le degré de transgression par paliers.
Un peu comme la grenouille et l’eau chaude. Si vous jetez une grenouille dans de l’eau très chaude, elle fait un bond en arrière. Si vous la baignez dans de l’eau fraîche et que vous augmentez la température au fur et à mesure, le batracien ne bouge pas d’un poil (de grenouille, bien sûr !). Il en va de même avec l’humour.
D’une certaine manière, Guillaume Meurice a pratiqué cette ascension de l’Everest de la blague au fil des années. Il a habitué ses auditeurs à des montagnes russes émotionnelles, à des coups de provoc’, à des vérités plus ou moins faciles ou bonnes à dire…
Guillaume Meurice est un pro. Il sait, quand il écrit cette blague, qu’il passe à Mach 6 de la transgression humoristique tout simplement parce que le sujet est clivant et brûlant (preuve en est, ça fait des semaines que la station sur laquelle il parle s’échine à ne surtout pas prendre position).
Rare photo d'une grenouille écoutant France Inter
Pour faire accepter cette blague, sans doute Guillaume Meurice compte-t-il sur la zone de sécurité que constituent ses 12 années d’humour avec les auditeurs de France Inter. 12 ans, ce n’est pas rien. Mais il se trouve que là, la température du bain n’est pas au goût de tous. Pour certains, c’est le choc thermique et la crise d’urticaire (si l’image vous cause moyen, demandez donc à Marie G. de vous raconter la fois où elle a eu la brillante idée d’enchaîner un sauna à 60° et un bain d’eau froide…).
Toute la complexité vient du fait que l’humour naît de la friction entre ces deux zones. Parfois, c’est un pétard mouillé (trop de sécurité, donc on s’ennuie ferme), parfois ça fait des étincelles (trop de transgression, ça pique, c’est désagréable).
Sans sécurité point d’humour, sans transgression point de rire. Telle est la quadrature du cercle de l’humoriste.
Ensuite, tout s’enchaîne très vite dans le cerveau de l’auditeur. Il superpose zone de sécurité et transgression. Il perçoit l’incongruité (ou pas*), l’analyse, juge s’il la trouve acceptable ou non et rit (ou pas).
*C’est sur cette étape que la team 1er degré est en difficulté.
Ce travail que le cerveau humain réalise en quelques dixièmes de secondes, Jared Volle l’appelle « la juxtaposition joyeusement inappropriée ».
Certains jugeront que la friction judéité / nazi (un conflit comique on ne peut plus frontal) est joyeusement inappropriée parce qu’elle est à la fois incongrue et acceptable dans leur modèle de pensée. Ils riront parce que, selon la théorie du relâchement, ce trait d’humour les soulage de la tension générée par la situation géopolitique elle-même.
D’autres jugeront cette friction inacceptable parce qu’elle va à l’encontre de leurs valeurs, qu’elle heurte de plein fouet leur sensibilité.
Dans ce processus de jugement rentrent en compte, notamment, le contexte, nos connaissances, nos opinions, notre proximité personnelle avec le sujet abordé, nos systèmes de croyances.
Pour finir notre analyse, un élément reste à questionner : l’intention de l’émetteur.
Créer de la joie ou partager des opinions sur un sujet d’actualité ?
« Les deux, mon général ! » auriez-vous peut-être été tenté.e de nous répondre (si vous avez un certain âge, que vous connaissez Les Gendarmes de Saint-Tropez et toutes les répliques du maréchal des Logis-chef Cruchot dans le texte… autant dire, si vous êtes le père de Marie G.). Mais maintenant que vous avez tout bien lu cette newsletter, vous savez que, pour les raisons détaillées plus haut, ce « en même temps » se révèle, en matière d’humour, impossible donc illusoire.
Avec les salutations du maréchal des Logis-chef Cruchot
En écrivant sa chronique, Guillaume Meurice a dû lui aussi faire un choix : “si je dis cette vanne, est-ce pour fédérer ou pour diviser ?” Voilà un bon sujet pour le bac philo…
Vous avez deux heures.
Merci de nous avoir lues.
A bientôt chères lectrices et chers lecteurs !
Vous prendrez bien un petit coup d’auto-promo ?
Sachez que Sandra est au Point-Virgule avec son merveilleux spectacle '“Que faire de cons ?” tous les mardis à 21h15 jusqu’au 25 Juin. Elle sera ensuite à Avignon au théâtre Notre-Dame pour toute la durée du festival off (du 3 au 21 Juillet à 18h00).
Marie, quant à elle, organise cet été des ateliers d’écriture créative.
Ça dure une semaine (au choix du 8 au 12 juillet ou du 19 au 23 août), c’est dans le joli village de Tonnerre et c’est ouvert à toutes celles et ceux qui ont envie de s’offrir une parenthèse enchantée au bord du Canal de Bourgogne. Renseignements par e.mail : marieguibourt@icloud.com