Le point golri

La newsletter qui décrypte l'humour et lubrifie vos rapports sociaux.

image_author_null_Marie Guibourt & Sandra Colombo
Par Marie Guibourt & Sandra Colombo
16 janv. · 3 mn à lire
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Rire avec ou rire contre, voici le Point golri de la nouvelle année!

En ce mois des bonnes résolutions, on ne vous parlera pas régime miracle ou nouvelle activité sportive mais adhésion au rire. Car si rire AVEC les autres est l'un des plus grands plaisirs de la vie (on fait des efforts pour vous faire oublier le chocolat, vous noterez), rire CONTRE s'avère bien plus délétère qu'on imagine.

Nous espérons que vous avez passé de bonnes fêtes, emplies d’amour, de chaleur humaine, de joie, de mets succulents et de joyeuses tablées.

Vous savez, ces tablées “comme sur Instagram”, où tout le monde est heureux et d’où s’échappent rires cristallins et humour fin et délicat.

Las. Il est malheureusement statistiquement probable que vos tables de réveillon aient comptés des spécimens de la team lourdeur (cf. notre newsletter précédente).

Il y a les photos sur Insta. Et la vraie vie.Il y a les photos sur Insta. Et la vraie vie.

Du léger malaise …

Et ce fut peut-être encore l’occasion pour vous de vous apercevoir (ou de vous rappeler) que l’humour peut servir d’arme de destruction massive. Certaines “blagues” de la team lourdeur vous ont-elles mises mal à l’aise, non seulement car elles n’étaient pas drôles (malgré tout ce qu’en pense Jean-Pierre, persuadé d’être hilarant), mais également parce qu’elles ont fait rire certain.e.s autour de la table ?
Si oui, il vous est alors clairement apparu que, sous couvert de blagues, la team Jean-Pierre véhicule de (sales) messages.

Ça vous a peut-être même rappelé des (sales) souvenirs de cour de récré.
Car oui, si l’on n’y prête pas attention (au mieux), voire si on le fait exprès (au pire), l’humour peut détruire.

… au harcèlement

Souvenez-vous de cette période assez étrange qu’est l’adolescence.
On découvre beaucoup (trop) de choses, en vrac : les boutons, les pulsions, le seum, les amis pour la vie, les premières fois, …

Une seule envie nous taraude alors : être accepté.e par le groupe (et oui, on est d’accord, ça se poursuit bien plus tard qu’à l’adolescence). Et pour cela, nous sommes prêt.e.s à tout : à adhérer, à se conformer, à se persuader que mieux vaut rire, même si au fond, on trouve pas ça marrant marrant. TOUT plutôt que sortir (ou être exclu.e) du groupe.

Les ados découvrent (en tout cas, expérimentent) qu’utiliser l’humour peut être une stratégie très efficace pour établir sa supériorité, contrôler les autres et même les embarrasser.


Car, autant il est fréquent de se faire punir si on insulte quelqu'un verbalement, de même que si on l'agresse physiquement, autant utiliser l'humour pour ridiculiser quelqu'un est socialement accepté, même si moralement très discutable. C'est même perçu comme une marque de vivacité d'esprit et d'intelligence… et malheureusement plus valorisé que d'être bon en maths. À tel point que bien des épisodes de harcèlement scolaire commencent par ce que les agresseurs appellent de “l'humour” mais que les agressés appellent (à juste titre) de la malveillance.

Tar'ta gueule à la récré (et dans l'open space).Tar'ta gueule à la récré (et dans l'open space).

Et cerise sur le pompon de la mauvaise blague, réagir à ces soi-disant boutades par une (pourtant saine) colère enferme la victime dans une spirale infernale: « T'as pas d'humour, t'es nul.le. »

C'est marrant dites donc, ça nous rappelle vaguement quelqu'un qui a imposé son hégémonie sur une chaîne de télévision à grands coups médiatiques de blagues pourries d'adolescent dominant...

Et comme dans une meute, il faut se conformer au modèle social dicté par le dominant pour être accepté. Pour intégrer le groupe, on doit donc railler la personne qui a été désignée comme souffre-douleur. C'est ce phénomène de meute qui explique, notamment, le succès du sus-cité animateur télé qui, dans son émission, entouré de ses disciples hilares, fracasse l'humanité des autres à grands coups de « vannes » dégradantes. Et si un loup solitaire a le malheur de manifester son malaise face à l'humiliation cathodique qui se déroule sous ses yeux, il se verra menacé de disqualification immédiate par le truchement d'un argument massue : « Mais, c’est une blague, achetez-vous de l'humour. » Prière de rentrer dans le rang direct. Tout le monde s'esclaffe alors, de peur d'être rejeté... et de ne plus faire partie de la meute.

Pour les ados, pour qui l’appartenance au groupe est essentielle, la dérive est tentante. Dans cette période trouble et troublante de la vie où on se sent si vulnérable, la meilleure défense n'est-elle pas l'attaque ? Et puis, il est si facile de blesser un congénère quand on sait soi-même très bien où ça fait mal.

Et ça continue encore et encore…

Ces dernières semaines, nous avons malheureusement assisté à la même mécanique d’adhésion mais par des gens qui ont depuis longtemps quitté l’adolescence.

Petit rappel des faits (toute ressemblance avec des personnes existantes et des faits récents serait purement faite exprès).

Laissez-nous vous conter l’histoire de Thierry, dit Titi.
Titi, c’est le super primeur du quartier.
Titi, c’est un champion. Il a toujours un étal incroyable, avec les plus beaux fruits et légumes du quartier. Voire de la ville.
Il est tellement fort qu’il a gagné plusieurs fois le prix du meilleur primeur de France. On ne va pas y aller par quatre chemins. Titi, il fait la fierté de la France.
Pourtant, il y a comme des bruits, des rumeurs. On évoque de-ci de-là le ras de bol de certain.e.s pour ses blagues de “Melon et Melèche”.

Titi, tout en finesse. Oui mais bon, c'est Titi !Titi, tout en finesse. Oui mais bon, c'est Titi !

Mais il y aurait plus grave. Paraîtrait qu’il n’y aurait pas que les oranges qu’il tripote, Titi. Qu’il ne pourrait pas s’empêcher de tâter la fermeté des pêches de ses clientes. Paraîtrait même que parfois il teste la dureté des aubergines de ses clients (mais toujours des jeunes ou des sans défense, il est pas fou Titi, il ne veut pas se prendre des marrons).
Mais comme il accompagne systématiquement ses mains baladeuses de blagues vaseuses, ça va. On peut se faire croire que c’est pour de rire. Qu’est-ce que vous voulez, il est comme ça Titi. Il fait des blagues. Lourdes, graveleuses, gauloises, certes, mais des blagues.

Dans le quartier, deux camps s’affrontent.
Les “Ooooohh ça va, c’est Titi !”.
Et les “Ça suffit !”.

Les premiers adhèrent. Ils rient de bon coeur. “Il tripote pas méchamment”, “C’est pour rire”, “On va pas arrêter d’aller chez lui, c’est le meilleur”.

Les seconds s’interrogent. Peut-être qu’eux aussi, au départ, ils ont rit de bon coeur. Et puis parfois, quand ils ont vu que ça dépassait les limites, ils ont tenté un timide “Titi, arrête, c’est pas drôle”. Mais personne n’a écouté.
Mais maintenant que les dérapages commencent à se savoir dans le quartier, ils sont si mal à l’aise qu’ils ne vont plus chez Titi. C’est pénible, parce que ça les oblige à faire leurs courses plus loin. Ils galèrent pour trouver un rapport qualité/prix aussi exceptionnel que chez Titi.
Et (tomate) cerise sur la barquette de fraises, la team “Titi Forever” les raille. Ils en prennent plein la poire. Et c’est pas très agréable. Peut-être même qu’ils ont l’impression d’être carottés. Mais ils tiennent bon.

Parce qu’ils ont compris que rire avec Titi, c’est adhérer à son comportement.

Pourquoi ? Parce que le rire est affinitaire. Observez : il est presque impossible de rire avec quelqu'un dont les idées sont diamétralement opposées aux nôtres. Mieux, rire renforce le sentiment d'appartenance et de connivence. Pour pouvoir rire ensemble, il faut partager le même terreau culturel, la même langue et les mêmes valeurs. C'est pour ça qu'on préfère pratiquer l'humour avec ceux que l'on aime et que l'on respecte.

Alors en ce début d’année, nous allons vous souhaiter de l’humour. Du vrai, du bon, du qui fait du bien. De l’humour qui lubrifie les rapports sociaux, de l’humour qui allège notre quotidien, de l’humour pour rassembler.

Et on vous souhaite aussi le courage de remettre à leur place tous les Titi qui nous pourrissent la vie (et qui font rentrer le ver dans le fruit). Et de faire comprendre à ceux qui ne trouvent pas ça grave ou important, que si, rire c’est une responsabilité.

Bonne année 2024 !

Année Olympique, année qui pique?Année Olympique, année qui pique?

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